La meilleure façon d’apprendre à frapper en Bourrée d’Auvergne (et à danser en général), consiste à regarder les bons danseurs et leur piquer ce qui vous plait. Une autre est de décortiquer toutes les possibilités. Pour montrer la quantité gigantesque de frappés possibles et essayer de se les approprier, voici quelques dimensions de décorticage, pour accompagner une vidéo filmée un peu à l’arrache sur le sujet1

Préambule

Pour le reste de cet article, on va utiliser la notation qu’en bourrée, un frappé se décline sur 123456. Pour décrire la combinatoire des possibilités, on va découper le frappé en cellules “recombinables”: (1)(2)(34)(56). Une amorce (1), une cellule faible (2), une cellule “frappe frappe” (34) et une cellule de sortie (56). Lorsque plusieurs frappés s’enchainent, on retrouve l’amorce, plusieurs cellules faible, frappe frappe et une cellule de sortie: (1)(2)(34)(2)(34)…(2)(34)(56). Ca ne dit rien sur la nature des frappés en eux même, c’est juste une convention pour faciliter l’écriture.

Chaque frappé peut se démarrer du pied gauche ou du pied droit, on ne va donc pas parler de gauche ou de droit, mais de changement (ou non) d’appui. A un temps donné, on peut changer d’appui (noté C), ne pas changer d’appui (noté _), ne pas changer d’appui, mais frapper de l’autre pied (noté =), ou marquer le temps en l’air, en préparation d’un attérissage sur le temps suivant avec le même pied (noté ‘) ou avec l’autre pied (noté ^).

En utilisant cette notation, un des frappés de base peut se noter: C_CC__, qui correspondrait à danser par example droite, gauche droite, sur 1, 34, puis à attendre la mesure suivante pour repartir (du pied gauche).

On peut maintenant décortiquer ce qui se passe à chaque cellule du frappé.

Le frappe frappe

On pourrait traiter ces deux temps séparément, mais je trouvé plus facile de travaiĺler ces variantes en un bloc.

  • 12CC56
  • 12C=56
  • 12==56
  • 12=C56

Sur cette cellule du frappe frappe, une absence de possibilité de faire une percussion serait rare, ou sortirait du cadre des frappés présentés ici. La notation induit un peu en erreur, puisque le pied qui frappe est celui auquel on “pense” en dansant. Or, ce sont CC et C= qui frappent d’un pied différent et =C et == qui frappent du même pied - ce qui n’est pas immédiatement apparent.

La cellule faible

Le plus commun sur cette cellule est de faire quelque chose sans bruit, éventuellement en ajoutant un saut:

  • 1_3456
  • 1’3456
  • 1^3456

J’ai choisi de noter le changement (ou non) d’appui pendant le temps 2 (plutôt que pendant le temps 3, lors du changement effectif) pour faciliter la description des différents atterrissages possibles (qui correspondent effectivement aux possibilités présentées a la section d’avant) et pour éviter un problème de recombinaison (le frappé que je note x´Cxxx, ou on saute pour atterrir sur le même pied, pourrait aussi se noter x´_xxxx, mais demande des cellules frappe frappe commençant par _, qui n’existent pas dans d’autres contextes - C peut donc être pensé plutôt comme une prise d’appui que comme un changement d’appui).

A la suite des sauts (‘ et ‘ ^), C et = correspondent donc à des atterrissages a 1 ou 2 pieds (l’atterrissage à 2 pieds peut aussi être vu comme un atterrissage à un pied accompagné d’un frappé de l’autre). On peut aussi noter que suivant l’intention déployée, il existe un grand flou entre _ et ‘ et entre C et ^, avec certaines prises d’appui qui tombent ou arrivent après une surrection et des sauts qui sont plus ou moins marqués avec la jambe sautante.

D’autres possibilités existent aussi sur cette cellule faible :

  • 1C3456
  • et plus rarement 1=3456

La sortie

La sortie est souvent relativement discrète:

  • 1234__
  • 1234CC

Rarement on pourra aussi trouver

  • 1234_C (qui va remplacer le difficile à exécuter 123=CC)
  • ou encore plus rarement 1234C_

Les percussions

Associé à ces formules d’appui, plusieurs formules percussives sont possibles - à chaque fois qu’il y a une prise d’appui ou un frappé, on peut faire du bruit ou non (on peut aussi frapper plus ou moins fort, mais on va rester simple et juste découper en frappe (marqué 1) ou pas frappe. Ce qui donne les possibilités les plus habituelles:

  • 123456 (un peu bourrin et pas disponible sur toutes les formules d’appui)
  • 123456
  • 123456

Et les mêmes avec un des “frappe frappe” moins marqué, particulièrement:

  • 123456
  • 123456
  • 123456
  • 123456

D’autres options plus rares sont aussi possibles.

Ça fait combien d’options?

En excluant l’amorce (qui peut néanmoins être du pied gauche ou du pied droit), et en excluant les formules rares on se retrouve avec.

  • 4 cellules faibles
  • 4 cellules frappe frappe
  • 2 cellules de sortie

Ce qui donne un total de 32 frappés possibles (192 avec les différentes formules percussives). Ces possibilités sont encore démultipliées si on prend les frappés multiples. Avec une cellule “faible frappe frappe” supplémentaire, on passe à 512 frappés possibles (près de 10000 avec les différentes formules percussives).

Bref, le nombre est peu important, mais la richesse potentielle est remarquable. D’autant plus qu’on est bien loin d’avoir fait le tour.

Pourquoi les décomposer ?

L’intérêt de cette décomposition n’est pas de compter les possibilités, mais de les interroger, de regarder quelles sont celles qu’on exploite pas et de voir les axes de travail pour “faire des kilomètres” et s’approprier les différents frappés.

A ce sujet, certains frappés font repartir du même pied et d’autres du pied différent. En fonction de ça, dans une situation de répétition en boucle, ça peut être intéressant de mettre un nombre pair ou impair de pas de bourrée entre les frappés en fonction de si on veut varier ou non le pied d’amorce (ou encore, faire “3 pas de bourrée, frappé, 4 pas de bourrée, frappé” en boucle permet d’alterner 2 amorces d’un pied, puis 2 amorces de l’autre.

Et la suite ?

Le frappés ne sont qu’une partie de toutes les possibilités d’ornementation et démarcation des déplacements de bourrée. On peut réfléchir à où on les place dans la trajectoire (début, milieu, fin), où on les place sur la phrase musicale. On peut aussi regarder les différentes possibilités de décoration du pied - croiser devant l’autre, faire un “talon” ou un “pointe”, frapper devant ou derrière le pied d’appui, etc. Un exemple hyper commun est de faire 1_=CCC en croisant le pied frappant “extérieur” au déplacement devant l’autre pied sur la cellule “frappe frappe” (cf. 7mn25 de la vidéo).

On peut aussi essayer d’autres formules percussives et les changements d’appui qui permettent de le faire. En particulier, plein de possibilités (dont il est un peu trop facile d’abuser) s’ouvrent en frappant sur les cellules faibles. Par exemple le 5e temps les appuis 1CCC, ou encore d’accentuer l’hémiole avec 1=^=_, ou de façon plus élégante avec 1CCCCC.

D’autres possibilités viennent en considérant que les trois temps de bourrée vont souvent DAdouDAdouDAdou en en marquant ces “sous temps” avec des appuis ou des frappés passagers (il me semble avoir vu en bal Jacques Puech et Basile Brémaud faire cette battue du pied en jouant des bourrées).

Bref, les possibilités sont infinies et permettent une subtilité, une précision et une richesse à l’image de la bourrée elle-même. Profitez-en! Essayez-les en bal - au début, seul un frappés sur 100 sera “parfait”, puissant, subtil, en phase avec la musique, avec le partenaire - puis ça sera un frappé sur 50, puis un frappé sur 10, etc. Il m’arrive aujourd’hui occasionnellement de faire des bourrées avec presque aucun frappé “mauvais”. Mais il faut en faire beaucoup de mauvais, sans complexes, pour pouvoir n’en faire que des bons. Lancez-vous!

1’=CCC
1C=__
1’=C=CCC
1
=C=C=C_==C
1^CC=C
1’=CCC
Une ornementation un peu mal executée avec des croisés: 1__C__CCC
1
CCC
1’=C=CCC
1’CC
C=_C

  1. Les frappés dans la vidéo, à partir de 7mn00: